Accueil > Articles > Retraites : la grande imposture
  •   |   {id_article}  |  
      |  
  • Article

Retraites : la grande imposture

Le mercredi 5 juin 2002

- Quelle est la réalité de la catastrophe annoncée des retraites ?

Poser cette question ne peut manquer de susciter la surprise. Une affaire n’est-elle pas entendue lorsque se sont multipliées à longueur de journaux les déclarations les plus alarmistes sur l’avenir du système actuel de retraite ? Après le Livre blanc de Michel Rocard en 1991 et le rapport Briet de 1995, le rapport Charpin de 1998 a achevé de rendre indiscutable le péril menaçant les retraites par répartition. Chargé d’une mission de concertation avec les « partenaires sociaux », le Commissariat général du plan a, dès lors, fourni les scénarios les plus apocalyptiques, dans le but pédagogique transparent d’arriver à un « diagnostic partagé » avec les organisations syndicales. Pendant ce temps, des ministres ont appris à distiller de petites phrases dans lesquelles l’instauration de fonds de pension et la « réforme » du système par répartition sont présentées comme des nécessités absolues. Bref, une partition musicale où alternent coups de grosse caisse et délicats morceaux de clarinette.

- La démographie est évoquée à satiété

La part des personnes âgées dans la population totale va fortement augmenter au cours des prochaines décennies. Conséquence mécanique : il y aura proportionnellement de moins en moins d’actifs pour financer les retraites. Lacharge pesant sur ces derniers devrait devenir insupportable. Laissé à lui-même, le système exploserait. Il faudrait donc introduire un « troisième étage » dans notre système de retraite : les fonds d’épargne-retraite. Cette thèse semble d’une solidité à toute épreuve. Elle s’appuie sur un nombre impressionnant d’études démographiques. Elle est pourtant parfaitement contestable.
En effet, tout d’abord, cet argument démographique est présenté de façon tronquée. L’augmentation du nombre de personnes âgées dans la population totale sera en grande partie compensée par la baisse du nombre de jeunes. En d’autres termes, la charge économique d’origine démographique pesant sur les actifs augmentera assez peu, en tout cas dans des proportions beaucoup moins importantes que ce qui est mis habituellement en avant.
Par ailleurs les actifs occupés doivent subvenir aux besoins de l’ensemble des "inactifs", jeunes, personnes âgées certes, mais aussi... chômeurs. La question de l’emploi est une question clef et déterminera l’avenir du système de retraite bien plus sûrement que les évolutions démographiques. Le Commissariat du plan l’a d’ailleurs bien compris : dans son scénario central auquel il a assuré un maximum de publicité, il prévoit un taux de chômage de 9%... jusqu’en 2040 !

Les chiffres qu’on nous présente

Les chiffres des retraites qu'on nous présente

Les chiffres réels des retraites

Les chiffres réels des retraites
Ils prennent en compte le fait que les actifs ont à leur charge les vieux, mais aussi les jeunes. Le nombre de jeunes, du fait de la démographie, baisse tout comme sa charge pour les actifs.
Il est à noter que les chômeurs font partie des actifs, ceux-là sont à la charge des actifs occupés.

- Une introduction de fonds de pension peut-elle répondre à un problème démographique ?

Nullement. En effet, que ce soit par répartition ou par capitalisation, les retraites sont toujours une part de la richesse produite à un instant par les actifs. Un épargnant d’aujourd’hui touchera une rente à sa retraite. Celle-ci sera prélevée sur la richesse produite au moment de sa retraite. Que cette retraite soit issue de la capitalisation ne change rien au fait que ce sont les actifs de cette époque qui la financeront.

Plus, on peut montrer que les évolutions démographiques jouent contre la capitalisation. Les retraités devront vendre leurs actions pour se constituer une pension, faisant ainsi baisser les cours de la Bourse. Cette baisse sera d’autant plus sensible qu’il y aura moins d’actifs qu’auparavant pour investir en Bourse. Bref, la capitalisation d’aujourd’hui risque de préparer les krachs boursiers de demain.

Même l’OCDE le reconnaît et s’en inquiète. Dans un de ses rapports elle déclare que à mesure que les membres des générations du baby-boom partiront à la retraite dans 10 à 20 ans, ils auront probablement un comportement de vendeurs nets au moins pour une partie des titres accumulés durant leur vie de travail. La génération suivante est de moindre taille, et il existe donc une possibilité de baisse du prix des titres. De plus, et en raison également de la taille réduite de cette génération, le stock de capital augmentera plus vite que la force de travail, et ceci tendra également à faire baisser les rendements sur les actifs réels ; il existe donc une possibilité qu’au moment de la retraite, la génération du baby-boom découvre que le revenu tiré des fonds de pension est inférieur à ce qui avait été prévu par simple extrapolation des tendances actuelles.

Fondamentalement les retraites versées sont une part de la richesse produite par les actifs. Or cette richesse s’accroît régulièrement. Le problème sera donc comment la partager. Un problème qui a plus à voir avec des choix de société qu’avec les évolutions démographiques. Dans ce domaine aussi, le Commissariat du plan a fait très fort, puisque son scénario central, si complaisamment diffusé, qui indique un taux de chômage de 9% jusqu’en 2040, prévoit aussi une croissance de 1,5% par an à partir de 2015. Il prévoit donc une grave crise économique pendant des décennies, alors qu’aucun économiste n’est capable de prévoir précisément un taux de croissance à 6 mois...

- Arrivé à cette étape de l’argumentation, le partisan des fonds de pension vous oppose un tout autre type de raisonnement : Tout ceci est bien beau, mais le problème, c’est que les entreprises françaises manquent de capitaux et que les fonds de pension anglo-saxons possèdent une partie importante du capital des grandes entreprises.

Ainsi donc, ces dizaines de milliers de pages écrites sur l’explosion inévitable du système par répartition pour cause de mauvais ratio démographique aurait simplement servi de paravent à ça ! Une certaine perplexité ne peut manquer d’apparaître.

Cet argument, qui relève plus de l’orientation de l’épargne actuelle que de l’avenir des retraites, est tout simplement faux. Les entreprises françaises ne manquent pas de capitaux ; Elles s’autofinancent en moyenne à près de 120%. De plus, on ne voit pas en quoi des fonds de pension "à la française" auraient un comportement différent de leurs homologues anglo-saxons qui diversifient leurs placements en investissant à l’étranger et exigent une rentabilité financière immédiate et de haut niveau.

Car, s’il y a un point sur lequel les sectateurs des fonds de pension ne s’attardent guère, c’est bien sûr le comportement de ces fonds et ce qui s’ensuit. La recherche effrénée de la rentabilité immédiate ne vient pas de que ces capitaux soient anglo-saxons, mais de la nécessité pour ces fonds de payer des retraites au jour le jour, surtout lorsque ceux-ci ont moins de rentrées que de dépenses (évolution démographique oblige). Il ne fait aucun doute que des fonds de pension "à la française" se comporteraient de manière identique. Les conséquences en sont largement connues : vision à court terme au détriment de l’investissement, penchant pour la rente plutôt que pour la production, financiarisation accrue de l’économie.. et surtout forte pression pour que les salaires soient au plus bas et les profits au plus haut.

- Répartition ou capitalisation, il faut choisir !

L’attitude du gouvernement Jospin a été on ne peut plus ambiguë, prétendant vouloir, tout à la fois, renforcer la retraite par répartition et introduire des fonds d’épargne salariale, comme si les deux systèmes pouvaient cohabiter harmonieusement. Certes contrairement à l’ex-loi Thomas qui permettait un siphonage direct des ressources de la répartition, les dispositifs d’origine gouvernementale se veulent plus rassurants. Ils "oublient" simplement que les revenus des deux systèmes ne peuvent pas s’additionner. Un haut rendement des fonds d’épargne-retraite suppose des taux d’intérêt réels élevés (dans le cas d’obligations) qui pèseront sur la croissance, donc sur l’emploi, et une compression de la masse salariale (dans le cas d’actions) pour obtenir des profits élevés. Dans les deux cas, ce sont les ressources du système par répartition qui seront atteintes. Celle-ci serait donc amenée à dépérir plus ou moins rapidement. Répartition et capitalisation ne peuvent coexister ; il faut donc refuser toute forme de capitalisation.

Le dépérissement de régime par répartition serait d’autant plus rapide que des mesures seraient immanquablement prises pour faire baisser le montant des pensions, créant ainsi une demande pour la capitalisation. Les mesures envisagées par le rapport Charpin tournaient autour d’une augmentation du nombre d’années de cotisation nécessaires pour pouvoir percevoir une retraite à taux plein. Les salariés se trouveraient donc devant le choix suivant : soit partir en retraite avec une pension moindre, soit travailler plus longtemps.

Cette dernière éventualité est un coup porté à la solidarité inter-générationnelle. Elle revient à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites supplémentaires. A moins que cela ne prépare la création d’"emploi-vieux", comme commencent à le proposer certains "experts" dont la "créativité" semble sans limite.

- Alors pourquoi vouloir introduire des fonds d’épargne-retraite contre tout bon sens économique ?

La réponse la plus évidente, la plus "matérialiste", est qu’un certain nombre d’institutions y ont un grand intérêt. Les pensions versées aujourd’hui représentent près de 1 100 milliards de F ou 168 milliards d’Euros, somme énorme qui représente plus de 10% du PIB ! Cet argent échappe aujourd’hui, pour l’essentiel, aux assurances, aux banques et plus largement aux institutions financières. Or ces organismes sont puissants, ils ont des ressources financières, des relais importants qui leur permettent de façonner l’opinion et ils sont capables de mener des campagnes de lobbying extrêmement efficaces. Et, par expérience, nous savons combien les responsables politiques sont sensibles à ce type de campagne.

Mais cette réponse aussi pertinente soit-elle, est insuffisante. Elle laisse de côté l’essentiel, car elle ne dit rien des caractéristiques propres du système par répartition.

- Le montant de la retraite par répartition relève d’une décision politique

C’est donc l’objet de débats et de combats. D’un point de vue démocratique, ce n’est pas aux marchés financiers de décider du montant des retraites, c’est à la société de décider politiquement quelle est la part de la richesse produite qui doit aller aux personnes âgées.

Pour l’instant, "experts", sociétés financières et hommes politiques font tout pour que les décisions politiques soient prises, mais contre nous. Si nous voulons que les décisions se prennent dans notre intérêt, nous devons établir un rapport de force qui nous permette de prendre les décisions qui nous conviennent.

La répartition démontre encore autre chose de bien plus inquiétant pour les adeptes du capitalisme et du libéralisme. Elle montre que l’accumulation privée capitaliste n’est pas nécessaire pour tenir des engagements financiers massifs et de long terme. La cotisation sociale y pourvoit en se transformant immédiatement en prestation, en pension. La logique du salaire socialisé (salaire direct et cotisation sociale) permet, par une large mutualisation salariale, de répondre à des besoins financiers considérables.

On veut nous enfermer dans des débats techniques sur les évolutions démographiques et autres paramètres économiques soi-disant incontournables, alors que le problème fondamental est la nature de la société dans laquelle nous voulons vivre. On veut nous imposer une société qui serait un ensemble d’individus épargnant chacun dans son coin - renforçant les inégalités -, soumis aux aléas de l’évolution des marchés financiers et incapables de déterminer leur avenir.

Ensemble, refusons cette régression et surtout soyons offensif pour améliorer le système actuel qui, même s’il n’est pas le pire, est très inégalitaire.

Pour nous ré-approprier notre avenir, établissons un rapport de force qui fera plier tout ceux qui veulent décider à notre place et contre nos intérêts.

- 

Ce texte s’inspire très largement d’un tract réalisé par les syndicats SUD d’Alsace qui lui-même est une reprise de l’introduction de Pierre Khalfa de l’ouvrage Les retraites au péril du libéralisme, Pierre Khalfa, Pierre-Yves Chanu (cooordination), Ed. Syllepse, coll. Arguments & mouvements

Suivre la vie du site RSS 2.0 | SPIP | Mgs MGS | Fédération Anarchiste FA